Meet Marie-Eve Lecavalier

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PHENOMENAL FASHION

Meet Marie-Eve Lecavalier

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« Il est important que chaque vêtement soit fort. Pour moi, la mode, c’est le vêtement » – tel est le mantra de Marie-Eve Lecavalier, créatrice québécoise qui lance cette année sa marque éponyme, Lecavalier. Lauréate du Prix Chloé et du Prix spécial du jury du festival de Hyères, la jeune designer se fait ainsi connaître du public européen… et fait un tabac : sa collection, un mélange audacieux de vestiaire masculin et féminin, propose des pièces d’orfèvrerie en matière de travail du cuir et des tissus, nobles et même upcyclés pour certains.

Ancienne élève de la HEAD, en Suisse, Marie-Eve Lecavalier a appris et véhicule dans son travail une idée du luxe et de la beauté des vêtements toute particulière, presque artisanale : passionnée par la créature pure, celle qui fait mettre la main à la patte et surtout mettre sa patte sur chaque pièce, elle est une plasticienne du textile et du cuir autant qu’une designer aguerrie avec une vision propre et bien développée. Quand elle parle de vêtements forts, elle parle de ce manteau long de cuir beige qu’elle fait défiler à Hyères et l’on pense à ce gilet de cuir tressé – selon une technique qu’elle a mise au point –, à ces chemises très 70s rayées, à ces jeans faits d’anciens Levi’s réagencés en pièces de luxe par le miracle de la couture.

En bref, s’il est une nouvelle qui nous réjouit pour le monde du luxe, c’est le lancement officiel Lecavalier dans les mois à venir, notamment à travers une collection capsule de la créatrice avec Maison Simons, prévue pour le mois de mars. Si l’on ne connait pas encore les projets de Marie-Eve pour la fashion week de janvier, on n’espère pas moins que la collection Lecavalier y sera présente : affaire à suivre. En attendant de connaître les péripéties à suivre pour la jeune québécoise, nous l’avons rencontrée à son bureau de presse parisien dans le 3e arrondissement de Paris.

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Quand as-tu su que tu étais faite pour la mode et la création ?

Assez jeune en fait, parce que ma grand-mère était couturière-modéliste et elle m’a appris à coudre très très jeune, à 5 ans. Enfant, je faisais déjà plein de petits objets, des sacs, des petits trucs pour moi, puis j’ai eu envie aussi de modifer mes vêtements : c’est surtout comme ça que ça a commencé. A 5 ans, j’ai fait ma première robe – qui ne tenait pas, elle s’est défaite la minute où je l’ai mise, je l’ai eu à la main toute la journée! – mais oui, j’avais déjà envie de faire, de créer. C’est ma grand-mère qui m’a immergée là-dedans, c’est grâce à elle que ça a doucement évolué, au fil du temps.

Tu es une créatrice pour les femmes, mais tes inspirations semble toutes venir de vêtements d’hommes : c’est volontaire ?

Oui!, en fait, je pense que c’est très moi, simplement. J’ai toujours porté des vêtements de garçon, je me suis jamais identifiée aux trucs trop féminins. Mon travail est le reflet de ce que je veux voir ou porter et j’ai un affect pour tout le vestiaire masculin. Quand j’ai commencé ma collection (celle présentée au Festival de Hyères ndlr ), je la travaillais sur hommes ! Mais je me suis arrêtée car mon travail, c’est la femme. C’est une femme que je vois dans mon vêtement. Donc j’ai poussé le processus encore plus loin en prenant des patrons de vêtements masculins et je les ai mis sur des femmes. Ça a créé des volumes, des effets que je recherchais et donc c’est bien par le biais du vestiaire masculin que j’ai réussi à faire ce que je voulais – la collection est un peu hybride tout en restant une collection pour femmes. Mais bien sûr, les hommes peuvent la porter aussi (rires)!

Tu dis t’inspirer d’esthétiques ordinaires – les personnes que tu croises dans la rue, les choses simple de la vie – mais tu livres des pièces au look et aux finitions extraordinaires : cet oxymore est-il au centre de ton processus de création ?

Je pense que depuis que je suis très jeune je trouve que le plus beau est associé au plus simple, au plus subtil. Dans le vêtement, je travaille des codes comme le marcel ou le jean par exemple, pour pousser la limite de notre perception de ces vêtements. J’aime beaucoup jouer avec les perceptions, cela sans jamais aller dans l’abstrait ou le déconstruit, ce n’est pas moi, ni mon but.

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Tes envies d’« hallucination » dans tes collections sont un moyen d’échapper au présent : était-ce aussi une grande évasion, quand tu es partie pour étudier la mode en Europe ?

Je suis retournée à Montréal maintenant, donc mon évasion est terminée! Mais quand j’étais jeune oui, je pense que j’avais envie de partir premièrement de la banlieue, mais aussi de voyager, d’aller voir ailleurs… j’étais très curieuse : voyager m’a toujours beaucoup attirée. Et même aujourd’hui, si je vais avoir un pied à Montréal, mon but est de continuer mes explorations.

Est-ce que ta vision de la mode a changé sous le prisme européen ?

Ma vision n’a pas changée, j’ai encore mes opinions par rapport à ce qui se passe en ce moment, mais j’ai été agréablement surprise que l’on me donne de la reconnaissance ici, car ce qui attire les gens en ce moment ce sont des choses très stylisées, très déconstruites, à la limite du trash mais en restant cool… et je suis complètement éloignée de ça. Pas que je n’aime pas, mais j’en suis tellement loin : certaines personnes le font bien et de façon très sensible mais je n’ai pas l’impression de m’inscrire dans ce qui se passe en ce moment. D’ailleurs c’est peut-être ça qui fait que les gens s’intéressent à ce que je fais finalement, c’est différent.

Tu vis et travailles entre le Québec et la France : on parle donc la même langue, mais est-ce qu’on parle la même mode?

Je pense que oui. Mon éducation mode s’est faite en Amérique et ma maîtrise en Europe (à la HEAD en Suisse, ndlr.) donc oui, on parle la même mode, mais je ne dois pas parler la même mode que les gens qui vivent dans ma ville natale ! J’ai peut-être simplement un coté plus américain, un peu différent de l’Europe. L’Europe s’extasie devant Vêtement ou le normcore par exemple, soit de l’appropriation culturelle d’un milieu social – en tant qu’américaine de banlieue, pour moi ce n’est pas du génie. Peut-être que ces codes n’avait pas été vus encore en Europe donc on a crié au génie mais à New York, les gens font déjà ça depuis longtemps.

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Tu sembles peu intéressée par le sportswear ?

Le sportswear je n’en peux plus, ça revient dans toutes les marques. C’est le plus profitable au niveau marketing c’est ce qui se vend le mieux c’est sûr mais même le luxe maintenant emprunte ses codes à la rue, au hiphop particulièrement – et on commence à en épuiser l’intérêt. Pour moi, ce qui compte, c’est la qualité du vêtement, les matériaux, comment il est fait. Un beau design c’est plus qu’un hoodie (sweat à capuche, en VF). Le sportswear c’est là pour des fins pratiques – la mode est plus élevée que ça. Moi en tout cas, je n’ai pas envie de voir ce type d’habits, parce que j’ai grandi parmi ces vêtements, ces trucs de banlieue… je veux fuir ça, je ne veux pas calquer quelque chose qui n’était déjà pas cool quand j’étais dans la banlieue. Mais probablement que ce désintérêt vient de là, que j’ai grandi dans ça : j’imagine que ceux qui ne l’ont pas connu doivent trouver ça cool d’avoir  cette allure.

Comment va s’organiser ta vie entre la France et le Canada, maintenant que tu te lances avec ta marque éponyme Lecavalier ?

Je vais être basée à Montréal pour la recherche et développement et les présentations seront à Paris, mon bureau de presse est à Paris. J’essaie de me positionner sur un segment luxe et cuir, et c’est à Paris que j’ai le plus de chance de m’épanouir là-dedans. Aussi, grâce au Festival de Hyères, j’ai désormais beaucoup de contacts en Europe, j’ai fait mes études ici, mes stages… en fait je suis hyper liée à l’Europe.

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Quels créateurs européens te semble le plus adhérer à ta vision de la mode ?

JW Anderson, que ce soit pour Loewe ou pour lui, c’est hallucinant comme il est prolifique et doué. Il est luxe et drôle, hyper intéressant, coloré… c’est du luxe, mais qui propose quelque chose de différent, un peu comme je souhaite le faire… mais je le ferai à ma façon ! J’aime les belles constructions, les belles matières, pour moi la mode c’est le vêtement. Quand j’étais petite je voyais les manteaux Prada et il n’y avait rien de plus beau que ça, le luxe absolu. Je continue à construire des pièces très fortes, qui se vivent seules ou ensemble. C’est important que chaque vêtement soit fort. Sinon j’aime beaucoup Phoebe Philo aussi… mais bon, elle est un peu stand-by en ce moment !

Tu peux nous l’avouer maintenant, tu es venue en Europe car il faisait trop froid à Montréal pour tes créations ?

Peut-être !… Je pense surtout qu’en Europe, le travail du cuir est plus poussé ! Mais je créerai pareil au Québec ou en Europe, je raconte des histoires, peu importe les températures (rires).

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