Comment l’histoire commence?
J’étais gratte-papier à la sortie de la fac, j’avais une maîtrise de littérature et je faisais de la bande dessinée. Un jour, je raconte l’histoire d’un tueur à gage qui balance son revolver du haut du pont Mirabeau. Comme il n’y avait pas Internet à l’époque, je décide d’aller m’acheter un polaroid pour photographier le pont et le dessiner! Je prends le SX70, petit compact, et l’avantage avec un polaroid c’est que pendant 3 jours la matière focale qui faisait la photo était malléable. Avec une pièce de monnaie, je pouvais tordre les lampadaires!Après, ils ont trouvé une formule pour bloquer l’image instantanément mais le charme du polaroid c’est que pendant 3 jours tu pouvais bidouiller la photo! J’ai commencé à shooter des plans statiques de la ville, des toits, des affiches électorales et les SDF la nuit aux halles. Le premier reportage photo que j’ai fait c’était l’enterrement de Jean Paul Sartre en 1980! (Je n’ai pas fait grand chose, surtout les couronnes de fleurs…) Tu suivais la foule, le corbillard était bloqué à l’entrée du cimetière Montparnasse, la seule manière de rentrer c’était de contourner le cimetière et d’escalader le mur. Fallait sauter…et j’ai sauté! Je me suis cassé 2 côtes à cause du polaroid dans ma veste, j’ai pas pu rigoler pendant 2 mois.
C’est donc naturellement devenu ton métier?
Je faisais les boums, beaucoup de vernissages, et je tombe sur le mec d’Actuel, Jean Francois Bizot, comme on était d’anciens gauchistes, il m’a dit « ah tu fais de la photo, je vais te foutre avec mon service photo tu vas travailler pour nous ». Un jour on était aux bains douches, il me dit « Tu vois le petit rebeu, shoote le parce qu’il va être célèbre, c’était Jamel Debbouze. » Je faisais aussi beaucoup la fête au Palace, on se marrait bien!
C’était Fabrice Emaer qui organisait des fêtes, il était gay, il était condamné par le sida mais on le savait pas encore, il s’est fait éventrer par des yougos qui voulaient le racketter! Lui, il en avait rien a foutre de l’argent, il était coiffeur et il avait réussi. Quand tu faisais des fêtes chez lui, c’est lui qui décidait si tu rentrais ou non. Tu pouvais être un prince avec du pognon, il te laissait dehors ou pauvre et sympa et tu rentrais. A l’époque dans le genre pauvre et sympa, t’avais Louboutin! Il avait pas de pognon le mec. Quand il y avait le nouvel an, j’amenais mon appareil photo et je shootais dans le tas des snapshots.
Ton appareil fétiche?
Je faisais de la diapo quand j’ai commencé avec un petit Leica. Moi ce que j’adore c’est qu’il faut que tout soit net, le décolleté de la nana soit net, le paquet de Marlboro qu’elle a dans les seins soit net, le numéro de téléphone qu’elle a écrit sur sa main soit net, le rouge à lèvres sur le mégot de sa cigarette soit net! C’est l’hyper focale. Tu règles ton objectif 35mm entre 80 cm à 2 m, t’es à 1m50 des gens, tout est net.
Comment les célébrités réagissaient quand elles étaient flashées?
En 1983, j’ai commencé par parasiter une fête Ford parrainée par Grace Jones. J’étais avec un copain qui était chauffeur de maîtres, il conduisait des rolls Royce, il me filait des cigares qui me faisait dégueuler car j’avais pas l’habitude! Et il me dit: On a pas d’invitations mais on va passer chez la concierge! Elle avait une loge avec un escalier qui conduisait au sous sol du Palace, le club des clubs qui s’appelait « le Privilège ». Et donc, on y va et on tombe sur le directeur de l’époque, Claude Aurensan, qui connaît mon copain, et nous dit « hey les mecs vous êtes passés par où? », on lui dit qu’on est passé par les loges de la concierge parce qu’on avait pas d’invitations… et le mec nous répond « ah ba vous avez raison! Bienvenus! ». Et donc il y avait Grace Jones, elle avait une nana sur ses genoux et elle causait à d’autres gens, je la vois de profil avec ses dents, une dentition de cheval! Je la shoote de profil, et je me dis que ça serait chouette de l’avoir en train de bouffer du gâteau ou de mordre dans quelque chose… Un an plus tard, je me retrouve à un dîner Azzedine Alaïa au Palace, où elle était en face de moi! J’attendais avec l’appareil sur les genoux que le dessert arrive… c’était un gâteau au chocolat. Elle le prend, elle ouvre la bouche et je shoote one shot! Elle hurle! Et me balance son morceau de gâteau, je me cache derrière un mec qui m’a fait chier pendant le dîner qui se prend tout dans la gueule! Le mec gueule, elle dit: c’est pas de ma faute, c’est lui! Il m’a flashé! Moi je réponds : « c’est même pas vrai t’as même pas de preuves! » Elle a rigolé et finalement on est devenus de bons copains!
On te connaît notamment pour tes photos aux Bains Douches, c’était à quel moment la meilleure période ?
La bonne époque des bains douches, c’était durant les années 1985-86, les années Hubert Boukobza jusqu’à l’arrivée des Guetta qui ont foutu tout le charme des Bains Douches en l’air! Mais c’était ultra privé, ils ne voulaient pas de photos! J’ai pu rentrer car je connaissais les videurs. Un soir, y en a un qui me dit regarde le mec qui vient de passer! Moi je dis « putain de vieux baba cool à la con ! », il me dit « t’es con ou quoi? c’est Mick Jagger! ». Je ne l’avais pas reconnu! J’avais un Leica sous ma veste, j’ai mis la barrette et le flash, et j’ai attendu le bon moment pour le shooter! Mick vient me voir « could you show me your camera? » il me dit. « Nice camera », il me rend l’appareil et dis en anglais « je vais construire un musée ou une chapelle où j’accrocherai toutes les photos que tu as faites de moi ». Et l’attaché de presse m’a dit : pas de photos de Mr Jagger! J’ai eu de la chance car il se battait avec les paparazzis à l’époque!
La photo que tu n’as jamais publiée??
Un de nos présentateurs favoris, je ne te dis pas lequel, me dit « hey les mecs je vais prendre une ligne de coke! ». Il est au Privilège, le club des happy few du Palace, sur le planché gris, costard gris, pullover noir, assis par terre avec sa ligne de coke! « Prenez moi en photo », son avocat lui dit « mais non t’es con! ». 10 ans après il me dit « tu sais c’était pas de la coke… ».
S’il fallait ne garder qu’une seule photo?
Les meilleures photos, c’est pas les people, c’est les nanas qui se font chier en boîte de nuit, c’est des photos volées, les filles se font chier, elles se bouffent les ongles, on voit leur petite culotte, elles sont assises sur une merde de canette de Heineken et de mégots qui traînent par terre. T’as une innocence incroyable!
La meilleure histoire pour la fin?
Mon plus grand reportage, c’est un jour il y avait Tina Turner qui était reçue par le patron de Cartier. J’arrive en retard, l’attachée de presse gueule « Vous allez à la table des photographes et vous ferez les photos après! ». Je prends un verre de Pétrus, la bouteille coûtait en 1993 920 euros… Mes collègues ne boivent pas pendant le service. Alors J’ai bu seul! Un litre de Petrus dans le nez plus tard, je zigzaguais complètement ivre, je ne savais plus où étais ma bagnole, j’ai fait zéro photos, et la bagnole m’a ramené de place Denfert Rochereau jusqu’à porte de la Chapelle, décapotée en pilotage automatique…